Les représentations de la pièce Antigone, métro Charonne 8 février 1962 ont débuté depuis dimanche 24 septembre 2023 au théâtre Le Mélo d’Amélie. L’occasion pour la metteure en scène Françoise Odolant de nous laisser quelques mots au sujet de son travail.
Comment vous êtes-vous retrouvée à faire de la mise en scène ?
J’ai toujours aimé lire les textes des pièces de théâtre et j’ai trouvé que l’écriture de Pascal Olive mérite d’être portée auprès des spectateurs. Or, ce n’est pas facile d’entrer dans le milieu du théâtre quand on n’est pas de la famille et qu’on ne connaît personne ! Depuis 2018, on a donc travaillé comme des artisans pour créer chaque année une œuvre. Et comme les thèmes abordés ou les époques en toile de fond nous emportent dans des univers très différents à chaque fois, ça stimule ma créativité.
Vous n’êtes pas uniquement la metteure en scène de la suite d’Antigone. Vous gérez aussi la compagnie « Les 2 Colombes », structure qui porte le projet. Que pouvez-vous nous en dire ?
Avec Les 2 Colombes, j’ai eu la licence d’entrepreneur de spectacle vivant, et j’ai pu créer en toute indépendance une pièce par an. On apprend les ficelles du métier au fur et à mesure : on a commencé avec des comédiens amateurs pour Pravda, on a pu rémunérer ensuite les comédiens pour Un amour de mère, puis en 2022, Aux Rendez-vous d’ailleurs, on a fait la billetterie pour Le Pape et la Vierge…
Vous êtes habituée à mettre en scène les pièces de l’auteur Pascal Olive. Comment parvenez-vous à vous approprier son univers afin de l’adapter sur scène ?
Pascal Olive se confie souvent à moi pendant qu’il écrit une pièce. Je suis donc la genèse de sa création avant même qu’il livre le texte fini. Puis, je lis attentivement son texte comme si je plongeais dedans ; l’histoire et les personnages, bien sûr, mais pas que : la poésie des mots choisis, le son du texte parlé, ou encore les points de suspension ! J’annote le texte en complétant la chronologie précise des scènes, j’imagine déjà les ambiances et la création lumières. J’effectue des recherches sur la mode et les costumes, les chansons qui peuvent colorer l’époque, les éléments de décors qui vont meubler l’espace. Après cette phase de préparation personnelle, la pièce prend ensuite corps au fur et à mesure des répétitions avec les comédiens qui proposent leur interprétation. Je les pousse à oser jouer selon leurs intuitions, car pour moi, les personnages sont des êtres humains avec leurs dynamiques et leurs émotions. Il m’est même arrivé de voir l’aura d’Antigone 1 sur scène, un soir !
Vous avez déjà travaillé sur le premier volet d’Antigone. En quelques mots, parlez-nous de cette expérience.
La période de la pièce, les jours de la Libération en 1944, correspond à un moment fort de l’histoire de notre pays, la France, sur le plan collectif et politique, mais aussi pour les individus et dans la vie des familles. Il fallait donc, à la fois, traduire la part sombre des collaborateurs confrontés à l’éclat des combats de la Libération, et du changement de pouvoir, avec la soudaine puissance des résistants tout en montrant la tragédie de la jeune Antigone, mue seulement par ses sentiments d’amour pour son frère Polynice et dépassée par les évènements. Il fallait recréer cette ambiance complexe entre l’univers du puissant Créon, la bascule entre collaboration et Libération, et la force de l’insoumise Antigone, seule contre tous. Je voulais une Antigone déraisonnable, excessive, irritante, perchée dans son monde, et qu’on n’aime pas forcément. Dans cette histoire, chaque personnage a de l’amour pour elle au début, tente de la sauver, puis tous la lâchent au fur et à mesure jusqu’au pacte familial qui l’abandonne et scelle son sort. Elle sera donc condamnée en place publique. Une mort symbolique. J’ai voulu respecter les femmes qui avaient subi cette situation et montrer leur calvaire : être tondue, c’était la honte pour le restant de vos jours. Pire ! C’était une revanche minable des hommes qui n’avaient même pas fait la guerre. J’ai cherché des images d’archives, je ne voulais pas que la scène soit jouée. Et beaucoup de spectateurs, jeunes, les trentenaires ont été bouleversés, ils ne savaient pas !
Vous voilà une nouvelle fois avec la responsabilité de donner vie à Antigone. Éprouvez-vous une sorte de pression ou c’est l’inverse ?
Antigone, je la connais bien. Il y a eu un trou d’une vingtaine d’années, mais on comprend qu’elle s’est reconstruite loin de sa famille, seule à Paris. Elle vit encore dans de l’imaginaire en étant prof de théâtre. Malheureusement, elle ne va pas pouvoir connaître un bonheur simple et doux, et la tragédie va la rattraper. Elle devient aussi le témoin, et même un acteur, des évènements forts de notre histoire du 20e siècle. Je fais tomber le rideau avant qu’on ne soit sûr qu’elle meure… J’espère la retrouver encore…
Comment avez-vous mis en place le processus créatif de la mise en scène ?
Mon idée de base, c’est le texte, le texte, le texte ! Sa force, et son écriture, ce sont les premiers pascalins ! Après, j’ai habillé comme on fait un écrin pour le plus beau des bijoux, avec le jeu des comédiens, les silences, les lumières et les musiques. J’ai senti le besoin de rappeler Antigone 1. Pour rendre cela, 20 ans après, j’ai pensé à un mauvais rêve qui hante les nuits d’Antigone et donc un souvenir déformé, d’où le jeu en ombres chinoises. C’est la première fois que je me frotte à cette réalisation. Ensuite, la difficulté, c’est de passer d’extérieurs en intérieurs selon les scènes, de la canicule au plein hiver, de l’après-midi ensoleillée à la nuit d’horreur de février. Avec peu de moyens, avec seulement un banc et les lumières, je dois créer cette illusion. J’avoue que c’est un fameux défi ! Je pense que ça va fonctionner, car le texte de Pascal nous emporte dans une réalité quasi-tangible. Et on commence la pièce en disant un hommage aux réelles victimes du 8 février 1962, c’est sérieux. Les enjeux restent d’ailleurs d’actualité, aussi bien pour les relations franco-algériennes que pour les violences policières. Avec cette pièce on fait comme une passerelle entre 1962 et 2023.
De quelle manière avez-vous composé le casting actuel ?
J’ai passé des annonces sur Théâtre contemporain et on a rappelé des comédiens ou des comédiennes avec lesquels on a déjà travaillé et qu’on a pu apprécier. La troupe est un mix de ces deux approches. Guy Vareilhes avait déjà joué deux autres pièces écrites par Pascal Olive. Il avait été notre premier Créon dans Antigone 1, il avait l’âge du rôle pour Antigone 2, c’était une évidence. Rabiàa Tlili avait été une de nos « Antigone ». On lui a aussi proposé ! Laura, Warren et Henri ont répondu à notre annonce et ont passé le casting. Pascal connaissait déjà Hamed qui a une grande carrière internationale de conteur marocain. Quand il lui a parlé du projet de sa pièce, il a retenu son intérêt, alors il a écrit le rôle de Ali-monsieur Marcel en étant inspiré par lui ! Et puis, certains qui sont déjà « castés » appellent des comédiens pour compléter la troupe. Ça a été le cas avec Rabiàa. Lorsqu’on a dit que l’on chercherait un vieux comédien algérien, elle nous a mis en relation avec Nafa.
Expliquez-nous la façon dont vous avez mené les répétitions pour obtenir le résultat attendu.
On a commencé les répétitions avant même que les comédiens sachent le texte. Ils avaient encore les feuillets dans les mains : on s’est vus toutes les semaines et j’affinais mes exigences par couches successives, de répétition en répétition. Plusieurs fois, on a réussi à bloquer des journées entières, de 10h à 18h. On a travaillé 7 heures avec une pause d’une heure seulement. C’est propice à la création et ça permet de faire des filages arrêtés. On réussit à avoir une vue d’ensemble de la pièce, à veiller à la cohérence des personnages et à la dynamique de la tragédie.
Vous êtes maintenant habituée à mettre en scène ces pièces au style si délicieusement particulier que l’auteur sait écrire. Pourtant, êtes-vous encore surprise par les nouveaux textes, lorsque vous les découvrez ?
Pascal explore des situations très différentes. On fait du théâtre d’art et d’essai : il s’agit de réflexions sociétales. Il y a une utilité, une urgence à traiter ses sujets. Je mets plus de temps à les monter que lui à les écrire, ce qui est dommage. J’aimerais qu’elles voient toutes le jour ! Son style peut être très différent d’une pièce à l’autre, tantôt en prose, tantôt en versification. Donc, oui, le style peut me surprendre et les thèmes ou les époques m’invitent à aller plus loin dans la création.
Que nous réservez-vous pour la suite ?
La pièce suivante est futuriste. Il s’agit de Terra Metallica, un texte qui se penche sur le thème de l’intelligence artificielle. On est à mille lieues d’Antigone 1 ou 2.
Crédits photos : Emeric Gallego
Tous les dimanches à 19h30, du 24 septembre au 17 décembre 2023
Théâtre Le Mélo d’Amélie
4 rue Marie Stuart
75002 Paris
Pour découvrir la pièce : ANTIGONE, MÉTRO CHARONE 8 FÉVRIER 1962